
Depuis plusieurs années, le Mali traverse une crise économique sans précédent qui bouleverse profondément la vie quotidienne des familles. Face à la cherté de la vie et au manque d’opportunités, de nombreux chefs de famille quittent leur domicile dès l’aube pour chercher de quoi subvenir aux besoins des leurs, souvent sans succès. Beaucoup rentrent le soir, épuisés, parfois les mains vides. Cette situation dramatique fragilise les foyers. L’autorité parentale s’effrite, les tensions s’accumulent et les parents peinent à encadrer leurs enfants. Les mères, elles aussi, sont dépassées par le poids des responsabilités et la pression économique. Dans de nombreux ménages, le dialogue familial appartient au passé, laissant place au désespoir et à l’impuissance.
On n’a pas besoin de statistiques ou d’indices pour soutenir l’argumentaire. La précarité sous nos tropiques ne se raconte plus elle se vit. Et ses conséquences sociales sont inquiétantes. Privés de repères et livrés à eux-mêmes, beaucoup de jeunes se tournent vers la rue. Le manque d’éducation, d’encadrement et de perspectives alimente la délinquance juvénile, la dépravation des mœurs et, de plus en plus, la prostitution des jeunes filles.
Le tissu familial brisé
Aujourd’hui, les familles maliennes se trouvent au cœur d’une crise silencieuse mais dévastatrice. Au-delà des chiffres et des discours politiques, c’est la cohésion sociale et l’avenir de toute une génération qui sont en jeu. Face à cette situation, il devient urgent de repenser les politiques économiques et sociales afin de redonner espoir aux foyers et de restaurer le tissu familial, pilier fondamental de la société malienne.
Dans un pays où les fondations économiques vacillent, l’éducation des enfants devient l’un des secteurs les plus touchés. Lorsque les revenus se réduisent à peau de chagrin, les dépenses liées à la scolarisation (fournitures, transport, repas) deviennent un luxe. Aujourd’hui dans la capitale, beaucoup d’enfants sont contraints d’abandonner l’école ou d’y aller de manière irrégulière. La précarité financière entraîne une hiérarchie des priorités où la survie quotidienne supplante l’investissement éducatif. Cependant, cette situation ne compromet pas seulement l’avenir scolaire des jeunes maliens, mais aussi leur développement personnel et social. Livrés à eux-mêmes, certains enfants se tournent vers des activités de rue, d’autres sombrent dans le décrochage moral. L’école, autrefois refuge et ascenseur social, perd son rôle structurant dans un environnement marqué par la fatigue et la résignation des adultes.
Sous la pression économique, le modèle traditionnel de la famille malienne se transforme. Les parents, absorbés par la recherche de moyens de subsistance, ont de moins en moins de temps et d’énergie pour assurer leur rôle éducatif. L’autorité parentale s’affaiblit, et le suivi des enfants, qu’il soit moral ou scolaire, devient secondaire. La recherche du prix du condiment prime d’abord. L’éducation, autrefois perçue comme une mission collective, se délite dans un contexte de survie. Les repères se brouillent : les enfants grandissent dans un climat d’incertitude, sans cadre stable ni discipline claire. Ce déficit d’encadrement se traduit par une fragilité sociale grandissante, marquée par la désobéissance, la perte du respect des aînés et l’augmentation de la délinquance juvénile dans certaines zones urbaines.
Des responsabilités partagées, un avenir à reconstruire
Si la crise économique explique en grande partie cette dérive, elle ne saurait tout justifier. La responsabilité des parents demeure cruciale, notamment dans la transmission des valeurs et la cohésion familiale. Dans la résilience , maintenir le dialogue, encourager l’effort et préserver la dignité peuvent constituer des formes de résistance éducative.
Mais pour redonner souffle à la cellule familiale, un appui institutionnel s’impose. L’État, les collectivités et les acteurs sociaux doivent repenser les politiques éducatives et sociales pour soutenir les familles vulnérables. Sans un engagement collectif pour restaurer la stabilité économique et morale, le pays risque de sacrifier une génération entière sur l’autel de la crise.
Adama Tounkara