
L’analyse sur la laïcité comme rempart de l’unité nationale est pertinente et courageuse. Elle met le doigt sur une dérive réelle : la confusion croissante entre le religieux et le politique. Cependant, le problème du Mali ne réside pas seulement dans l’application défaillante du principe de laïcité. Il est plus profond, plus structurel : c’est la forme même de l’État qui pose question.
Nous avons hérité d’un modèle d’État importé, calqué sur la République française, sans réelle prise en compte de nos réalités sociologiques, culturelles et spirituelles. Cet État hérité du colon a été maintenu, souvent par la contrainte, sans jamais être repensé collectivement. Aujourd’hui, il craque de toutes parts.
Ce modèle, centralisé et abstrait, a voulu imposer une uniformité artificielle dans un pays profondément divers : divers par les ethnies, par les langues, par les traditions, par les rapports à la foi. Le résultat, c’est un État éloigné des citoyens, incapable de traduire leurs aspirations réelles, et souvent perçu comme étranger à la société qu’il est censé incarner.
Il est donc temps que les Maliens se réunissent, non pas pour rejeter la République ou la laïcité, mais pour trouver ensemble la forme d’État qui leur ressemble et les rassemble. Un État fondé sur la reconnaissance de nos différences, mais uni par un projet commun.
Le Nigeria peut, à ce titre, offrir une source d’inspiration. Ce grand pays, aux divisions religieuses et ethniques bien plus marquées que les nôtres, a su élaborer un système fédéral qui permet à chaque région de gérer ses affaires selon ses spécificités, tout en appartenant à une même nation. Les musulmans du Nord et les chrétiens du Sud y coexistent, chacun se sentant citoyen à part entière, représenté et entendu dans le fonctionnement de l’État.
Ce modèle n’est pas parfait, mais il démontre qu’il est possible d’organiser la diversité, au lieu de la nier. C’est en intégrant nos réalités sociologiques dans le cadre institutionnel que nous pourrons bâtir un État stable, juste et durable.
La laïcité, dans ce contexte, ne doit pas être perçue comme un mur de séparation, mais comme un pont d’équilibre entre les composantes de la société. Elle ne peut fonctionner que si elle repose sur une architecture politique qui reconnaît et respecte la pluralité du Mali réel — celui des peuples, des croyances et des territoires.
Le moment est venu de repenser le pacte national. Non pour rompre avec l’héritage républicain, mais pour l’adapter à notre réalité. L’État malien de demain doit être un État choisi, conçu et bâti par les Maliens eux-mêmes — un État qui tire sa légitimité non de la copie d’un modèle étranger, mais de l’adhésion consciente de son peuple.
L’unité nationale ne se décrète pas, elle se construit. Et pour la construire durablement, il faut accepter de repenser la forme de notre État à la lumière de ce que nous sommes réellement.
Pr Sidi Mohamed Couloubaly