
Bamako a connu des jours plus paisibles en ce début de semaine, des files d’attente moins longues et des débats moins inflammables. Mais en cette fin d’octobre 2025, alors que le pays peine à reprendre son souffle au milieu d’une crise de carburant sans précédent, une autre flamme s’est allumée, celle d’une polémique dont seuls nos « Hérauts improvisés » de l’Olympe ont le secret.
Aboubacar Sidiki Fomba, figure connue de la transition et habitué des sorties tapageuses, « docteur autoproclamé, puis « massacreur » des soninké et j’en passe, a jugé bon d’accuser les chauffeurs routiers maliens de revendre du carburant à des groupes armés terroristes. Rien que cela. L’homme, visiblement inspiré, a livré cette bombe verbale dans une vidéo devenue virale, sans la moindre preuve, sans la réserve qui sied en la circonstance, comme si la gravité d’une telle accusation pouvait se dissoudre dans la légèreté d’un direct improvisé.
Résultat : un syndicat des chauffeurs outré, une plainte déposée au Pôle national de lutte contre la cybercriminalité, et un pays entier partagé entre indignation et lassitude. Les excuses tardives de M. Fomba n’y ont rien changé. « Trop facile », a répliqué le Syndicat national des chauffeurs routiers, rappelant que derrière chaque volant, il y a un père, un frère, un fils, des hommes qui, souvent, mettent leur vie en jeu pour que le Mali ne sombre pas dans la paralysie.
Car il faut le dire : si ce pays tient encore debout, c’est aussi grâce à ces routiers qui sillonnent, dans des engins généralement fatigués, les routes parmi les plus dangereuses de la sous-région. Ceux qui parlent d’eux ne savent pas toujours ce qu’ils endurent. Entre Bamako et Kayes, Sikasso et Ségou, Mopti, Gao et Kidal, chaque trajet est une traversée du risque. Les attaques de sept personnes sont possibles à chaque virage et peuvent faire des ravages, le pays est énorme, les routes défoncées, les files d’attente interminables aux frontières. Et pourtant, ils roulent. Ils roulent parce qu’ils savent qu’un seul camion arrêté, c’est un quartier sans électricité, une usine au ralenti ou à l’arrêt, une économie à genoux.
Les FAMa, conscientes du rôle vital de ces hommes, ont renforcé la sécurité des convois. L’opération « Fouga Kéné », dirigée depuis peu par général Famouké Camara, a mobilisé des moyens considérables pour protéger ces chaînes de vie qui relient les dépôts à la capitale. Et les résultats sont là : des cellules terroristes neutralisées, des axes rouverts, des citernes arrivées à bon port. Les 25 et 27 octobre, près de deux cents camions citernes ont fait leur entrée triomphale dans Bamako, escortés par les forces de défense et accueillis par des « youyous » populaires.
C’est dire si les mots de M. Fomba tombent mal. Car pendant que les routiers faisaient preuve de bravoure, lui préféra les éclats du micro. Ce n’est pas la première fois qu’il confond tribune politique ou il n’excelle point et parole responsable. Mais dans un contexte aussi tendu, où la moindre étincelle peut rallumer la colère, la parole publique devrait peser son poids de responsabilité.
Les chauffeurs, eux, n’ont pas le luxe de la polémique. Leur réalité, c’est la poussière, la fatigue, les routes minées, les regards inquiets de leurs familles à chaque départ. Ce sont les héros discrets de cette transition. Et dans un pays où les mots blessent parfois plus que les balles, ils ont choisi la voie de la dignité : porter plainte, non pour humilier, mais pour rappeler qu’on ne salit pas impunément ceux qui nourrissent la nation de leur sueur et de leur courage.
Ceux qui étaient à Faladié lundi matin ont vu les images : les camions avançant lentement, les soldats veillant, les populations applaudissant. Une scène rare d’unité nationale. Dans les stations-service, les visages fatigués se détendaient enfin. L’espoir revenait, comme un parfum d’essence, dans l’air chaud de Bamako. Les mots d’ordre se sont tus, remplacés par des gestes simples : de l’eau offerte aux chauffeurs, des vivres partagés, des remerciements spontanés.
Et c’est là que réside la vraie leçon de cette semaine. Le Mali n’a pas besoin de discours irresponsables ni de querelles de « transitionnaires » (excusez le néologisme), en mal de notoriété. Il a besoin de solidarité concrète, d’actes courageux, et de respect envers ceux qui, chaque jour, prennent les risques que d’autres ne prendraient pas.
La crise du carburant a révélé bien plus qu’un problème logistique : elle a mis à nu les ressorts d’une société à la fois fatiguée et résiliente. Une société dans laquelle les réels héros n’ont pas de micros, mais des volants. Où les véritables patriotes ne crient pas leur engagement sur les réseaux sociaux, mais le prouvent en livrant le carburant au prix du danger.
Quant à ceux qui se croient protégés par une pseudo-immunité ou un titre de circonstance, qu’ils méditent ceci : au Mali, les mots finissent toujours par rencontrer les maux et leurs conséquences. La justice, cette fois, a été saisie. Non pour venger, mais pour rétablir la vérité. Heureusement pour le « docteur » pourfendeur des soninké la plainte semble retirée, mais jusqu’à quand pour quelqu’un qui visiblement préfère les sursis ?
À force de bavardages d’immatures et de postures stériles, on finit par oublier les réalités qui brûlent. Et pendant que certains « leaders » s’imaginent au-dessus des lois, les chauffeurs, eux, reprennent la route. Déterminés. Et immensément dignes.
Leur récompense ? Les acclamations d’un peuple qui, malgré la pénurie et les privations, sait encore reconnaître ses héros. Un peuple qui, à l’arrivée des camions, exulte : « Je respire ! »
Oui, un vent d’espoir souffle sur la capitale. Pas celui des grandes annonces politiques, mais celui d’un peuple qui refuse de plier. Le Mali avance, lentement, mais sûrement, porté par ses anonymes. Et dans ce convoi de courage, les chauffeurs sont en tête. Alors, avant d’accuser, mesurons nos mots. Car dans un pays en guerre, la parole irresponsable est une bombe. Et dans un pays debout, les héros ne sont pas ceux qui crient, mais ceux qui roulent.
Seidina Oumar DICKO,
Journaliste-Historien – Écrivain