Les chefs d’état-major des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont réunis à Abuja (Nigeria) du 2 au 5 août 2023 au sujet du putsch intervenu au Niger le 26 juillet 2023. Ils étaient chargés de préparer une escapade militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel à Niamey en remettant Mohamed Bazoum sur son fauteuil. A l’ouverture de la rencontre, le chef des armées nigérianes, Général Christopher Musa, a tenté de justifier une éventuelle intervention militaire par la nécessité de rétablir la démocratie et d’enrayer les menaces à la sécurité et à la prospérité. Et c’est curieusement aussi là que le bât de la démocratie blesse dans la sous-région. A commencer par son pays, le Nigeria !
«Nous défendons la démocratie et cela doit continuer. Nous sommes prêts et dès que nous recevrons l’ordre d’intervenir, nous le ferons» ! Telle est la déclaration du chef des armées nigérianes, Général Christopher Musa, au lendemain des sommets extraordinaires de l’Uémoa et de la Cédéao, le 30 juillet 2023 à Abuja. «Le putsch au Niger menace notre vision commune d’une Afrique de l’ouest paisible, sécurisée et prospère», a-t-il déclaré le lendemain à l’ouverture de la rencontre des chefs d’état-major de la Cédéao dans la capitale fédérale nigériane. Du 2 au 5 août 2023, ils étaient chargés par les dirigeants de l’organisation sous-régionale de plancher sur un plan «d’intervention probable» au Niger au cas où les putschistes ne rétablissent pas le président Bazoum dans ses fonctions. Et cela avant la fin de l’ultimatum de 7 jours donné par l’organisation.
Sécurité et prospérité ! Ironie du sort, ce sont aussi cela qui est utilisé ces derniers temps pour justifier les putsches en Afrique, notamment dans la sous-région occidentale où la démocratie a presque quasiment échoué à instituer une gouvernance vertueuse. C’est au niveau de l’insécurité grandissante et surtout de la paupérisation (malgré un potentiel économique insoupçonné) que le bât de la démocratie blesse dans la sous-région. A commencer par le pays du Général Christopher Musa, le Nigeria !
Même si ce pays peut se targuer de s’être débarrassé du spectre des coups d’Etat en optant pour une alternance politique apaisée, il est loin de cette gouvernance vertueuse censée être le tremplin de la stabilité et de la prospérité. En Afrique de l’ouest voire en Afrique, la démocratie n’a engendré que la mauvaise gouvernance se manifestant par un cadre législatif flou, un système judiciaire inadéquat et généralement inféodé et instrumentalisé par l’exécutif, un manque de transparence et de responsabilisation, un manque de liberté de la presse… Finalement, ce système politique n’a fait qu’engendrer la grande pauvreté, la corruption, délinquance financière, népotisme, privation de liberté, et l’insécurité favorisant la contestation populaire.
A cela s’ajoute la volonté de modifier la constitution pour conserver le pouvoir. De l’insurrection qui a renversé Blaise Compaoré (après 27 ans de règne sans partage) en novembre 2014 au putsch ayant éjecté Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023, les coups de canife des militaires au processus de démocratie traduisent un malaise profond dans la gouvernance de nos pays, une rupture de confiance entre le pouvoir et le peuple.
Au Burkina Faso, Compaoré souhaitait se présenter pour un 5e mandat consécutif en 2015. Pour ce faire, l’article 37 de la loi fondamentale (limitant le nombre de mandats présidentiels) devait être modifié. C’est quand l’Assemblée nationale s’apprêtait à voter cette modification que la tension est montée et que la rue à déboulonner le régime en résistant à une répression féroce ayant fait au moins 30 morts. C’est le même entêtement à vouloir changer la constitution pour garder le monopole du pouvoir qui a fait la perte d’Alpha Condé renversé le 5 septembre 2021 par le Colonel Mamady Doumbouya.
IBK écarté par sa famille de la gestion du pays après sa réélection en août 2018
Si nous prenons le cas du Mali, ce n’est qu’un secret de polichinelle que feu Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK avait été écarté de l’exercice du pouvoir par le clan familial depuis sa réélection le 12 août 2018. La confrontation des signatures (imitation) sur les documents officiels l’a démontré. Les intérêts du pays étaient négociés au profit de ce clan dirigé par son fils Karim Kéita et le Directeur du service des renseignements généraux. Et toutes les décisions importantes étaient prises pour défendre les intérêts de ce clan. Alors que la majorité des Maliens sombrait dans la précarité, les proches d’IBK menaient une vie ostentatoire…
Pis, le clan préparait une transmission dynastique du pouvoir en tronquant les résultats des législatives afin non seulement de donner la majorité absolue au Rassemblement pour le Mali (RPM, parti présidentiel), mais en imposant également un homme de paille au perchoir. Malade et dépité par le comportement de ceux à qui il avait fait aveuglément confiance, le président était devenu une docile marionnette entre les mains de ses proches. Il était donc plus facile de le pousser à la démission pour que le président du parlement assure l’intérim, organise les élections à sa guise en offrant le fauteuil à Karim Kéita où à l’élu du clan.
C’est ce que les Maliens ont compris et c’est ce qui a favorisé la naissance du Mouvement du 5 juin Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Sans l’intervention du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP) le 18 août 2020, on se demande comment le bras de fer entre la rue et le clan accroché au pouvoir allait finir sans des affrontements meurtriers dans les rues de Bamako et dans de nombreux centres urbains. Et cela d’autant plus que les deux camps étaient campés sur leurs positions ne souhaitant faire aucune concession à l’autre.
«Concernant la situation complexe et géostratégique du Niger avec l’uranium, mais surtout sur la priorité à accorder a la sacralité de la vie humaine et la protection des civils, la Cedeao doit s’abstenir de tout recours à une intervention militaire. La Cedeao doit privilégier la négociation», a conseillé (sur twitter), M. Alioune Tine, expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali. Et nous sommes parfaitement d’accord avec lui quand il rappelle aux gouvernements civils africains de «respecter l’état de droit, les droits humains et la bonne gouvernance» ; de mettre fin à «l’impunité des crimes économiques, surtout de la corruption de membres de la majorité présidentielle, les troisième mandats avec la manipulation des constitution et la fraude électorale sont les cancers qui minent nos démocratie».
En tout cas, comme on peut aisément le constater, les derniers putsches en Afrique de l’ouest sont nés de la mauvaise gouvernance et de la volonté des peuples de se libérer des dirigeants qui ne gouvernent que pour eux et leur clan. Les dirigeants de la Cédéao et leurs chefs d’état-major doivent comprendre que tant que la démocratie ne permettra pas d’instaurer une gouvernance vertueuse et d’offrir une égalité de chance à tous les citoyens, en créant ainsi les conditions d’un bien-être collectif par l’émergence socioéconomique, le putsch sera une épée de Damoclès suspendue sur la tête de tous ces présidents qui gouvernent au mépris des vrais préoccupations de leurs populations !
Moussa Bolly