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Mémoire sélective et amnésie politique : L’héritage trouble du Choguelisme

by Nandi
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Choguel Kokalla Maïga se présente aujourd’hui en témoin indigné des dérives de la transition malienne. Mais derrière ses discours enflammés, se cache une vérité moins glorieuse : il fut l’un des artisans de cette même dérive.

Prolongations de délais, affaiblissement du processus électoral, marginalisation des voix dissidentes… Autant de décisions qu’il a cautionnées et parfois même initiées. Ne pas le rappeler, c’est laisser s’installer un récit biaisé où l’histoire se réécrit au profit de la mémoire sélective.

Dans ses récentes sorties, l’ancien Premier ministre Choguel Kokalla Maïga déplore la division persistante au sein de la population malienne. Mais cette fracture sociale, qu’il semble aujourd’hui découvrir ou dénoncer, n’est nullement une nouveauté. Elle existait déjà lorsqu’il occupait la Primature, et elle s’est même creusée sous sa gouvernance.

S’il la constate aujourd’hui, c’est peut-être parce qu’il en voit désormais les effets depuis l’extérieur. Pourtant, ce qui se passe actuellement n’est que la continuité logique d’un processus auquel il a pleinement contribué. Pourtant, il a été l’artisan du premier report, puis du « léger » report qui a suivi et l’histoire nous rappelle qu’en politique aussi, jamais deux sans trois.

Les arguments avancés aujourd’hui pour justifier le nième report des élections sont les mêmes que ceux qu’il tenait lorsqu’il était aux affaires. À l’époque, il était à la manœuvre pour organiser les Assises nationales de la refondation (ANR), un cadre controversé auquel de nombreux acteurs politiques et de la société civile avaient refusé de participer, dénonçant un processus biaisé et excluant. Cela n’a pas empêché la non-tenue des assises.

Les recommandations issues de ces assises ? Une prolongation de la Transition jusqu’à cinq ans. Celle de deux ans avait finalement été conclue avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). L’ancien Premier ministre a contresigné le décret qui a formellement prolongé la Transition de deux années supplémentaires. Il justifiait cette décision en répétant que « les élections ne sont pas une fin en soi » et que le pays était « en guerre ».

Ce narratif, toujours mobilisé aujourd’hui, a servi et continue de servir de prétexte pour reporter indéfiniment le retour aux urnes. Si l’on est capable de déployer autant d’efforts pour faire adopter une nouvelle Constitution, alors l’argument de l’impossibilité technique ou sécuritaire pour organiser des élections perd de sa crédibilité.

Ce que cela révèle, ce n’est pas tant une incapacité qu’un manque manifeste de volonté politique de restaurer l’ordre constitutionnel. Ainsi, l’actuelle prolongation n’est pas une rupture, mais bien la suite logique d’une méthode et d’une vision dont il a été l’un des architectes. Il a contribué à poser les rails, à façonner le discours, à légitimer l’idée qu’un pouvoir de transition pouvait se maintenir au-delà des délais initialement prévus.

Or, voilà qu’aujourd’hui, il se place en commentateur, comme s’il découvrait les dérives qu’il a lui-même théorisées. C’est ici que réside un enjeu fondamental : ne pas lui laisser le champ libre pour écrire ce qu’il appelle « Histoire », alors qu’il ne s’agit en réalité que d’une mémoire sélective.

Une mémoire qui retient les faits qui l’arrangent et efface ceux qui l’impliquent. Héritier politique revendiqué de Moussa Traoré, qu’il a souvent défendu face aux acteurs du Mouvement démocratique, il n’a pourtant pas hésité, au fil de sa carrière, à cheminer avec ces mêmes acteurs, que ce soit en tant que ministre ou au sein du M5-RFP.

Premier ministre, il aimait se draper dans les habits symboliques de Modibo Kéita, alors même qu’il avait combattu ses idées, suivant en cela la ligne de son mentor. Clivant par nature, il a toujours su se façonner un rôle, quitte à endosser des postures contradictoires, pour servir sa stratégie politique.

Beaucoup ont été emprisonnés, des voix réduites au silence, des opposants écartés. Certes, il n’avait peut-être pas tout le pouvoir entre ses mains, mais il a cautionné cette trajectoire, par ses actes, ses signatures, ses discours et ses silences. Ce qui manque dans ses propos, c’est la reconnaissance de sa part de responsabilité. Il parle en témoin alors qu’il fut un acteur central.

Il se présente comme gardien de la vérité historique, mais il tait les pages qu’il a lui-même écrites. Dans une période aussi grave que celle que traverse le Mali, le courage politique et moral ne consiste pas à manipuler la mémoire pour se blanchir. Il consiste à dire toute la vérité, y compris celle qui dérange, y compris celle qui nous met face à nos erreurs.

L’ancien Premier ministre aurait pu être un artisan de la sortie de crise. Il a choisi d’être un maillon du statu quo. Qu’il l’assume. Car l’histoire, la vraie, ne s’écrit pas à coups de mémoires sélectives, mais avec l’intégrité des faits et la lucidité des responsabilités.

Bah Traoré

(analyste politique)

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